Interrogations

 

Qu’est-ce que le temps passe vite ! Noël est venu, puis est reparti, puis la nouvelle année est venue, puis repartie, et la fin du mois de janvier se profile déjà à l’horizon. Il serait temps que je me dépêche d’ailleurs, je n’ai pas fini de souhaiter mes vœux. Mais je n’ai pas trop la tête à ça en ce moment, il faut dire. Bien que nous ayons réussi à repousser l’Entité Noire encore une fois, nous en avons perdu nos Talismans de Chaleur Solaire, et nous sommes désormais sans défense. Qui sait quand elle réapparaîtra ? Qui sait ce que fera cette chose emplie de haine contre ceux qui l’ont délogée de son antre ? Plus le temps passe et plus j’ai peur pour mes amis. Je pense que d’une façon ou d’une autre, nous sommes parvenus la dernière fois dans les souterrains à la blesser sérieusement, mais le coup que nous lui avons porté ne lui a été certainement pas fatal. Ce que je crains, c’est qu’elle guérisse avant que nous ayons pu trouver un nouveau moyen de la contrer. Sans les Talismans, nous ne pouvons rien faire. Maya, j’espère que tu vas pouvoir m’aider…

 

J’arrive devant chez elle. J’arrête le moteur de la voiture puis j’en descends. Brrr… il fait pas chaud par ici. Je frappe à sa porte. J’attends un peu mais elle n’arrive pas. Je frappe à nouveau, mais sans plus de réponse. C’est bizarre, elle n’a pas l’habitude d’aller au village par temps froid. Il est quand même à 20 kilomètres d’ici et le seul moyen de transport qu’elle possède est une bicyclette. Ca m’inquiète, et en plus je commence à geler sur place. Bon, je vais faire le tour de la ferme, peut-être que je verrai quelque chose par les fenêtres…

J’arrive à la porte-fenêtre du salon, quand je vois soudain à travers le rideau le corps de Maya allongé par terre ! Qu’est-ce qui se passe ? ! J’essaie d’ouvrir la porte-fenêtre, ouf elle n’est pas verrouillée. Je me précipite vers Maya. Bon sang, elle est pâle comme une morte ! Première chose, prendre son pouls et sa respiration. Ca va, elle respire calmement et son pouls est bon. Je la secoue un peu.

- Eh ! Maya ! réveille-toi !

Elle commence à bouger et gémir, puis ouvre les yeux. Elle semble d’abord ne pas me reconnaître puis elle prend une expression de surprise.

- Damien ? ! Mais… qu’est-ce que tu fais là ? ! Et… qu’est-ce que je fais par terre ? !

Elle essaie de se relever mais je l’en empêche.

- Ne te relève pas trop brusquement, lui dis-je. Tu étais évanouie. Relève-toi doucement en t’appuyant sur moi.

- Pendant que je la relève et la fait asseoir sur le canapé, elle me demande :

- J’étais évanouie ? Je ne me rappelle rien…

- C’est normal. Symptôme typique de l’évanouissement. Assieds-toi, je vais te chercher un verre d’eau. Tu me raconteras tout quand tu auras repris tes esprits.

Je vais lui chercher un verre d’eau et une aspirine dans la cuisine. Quand je reviens, Maya est sur le canapé en train de se tenir la tête.

- Merci, dit-elle quand je lui tends le verre et l’aspirine. Comment tu as fait pour entrer ?

- Tu n’avais pas verrouillé ta porte-fenêtre. Quand j’ai frappé à ta porte et que tu n’es pas venue m’ouvrir, je me suis inquiété et j’ai décidé de faire le tour de la ferme. Bien m’en a pris… Tu commences à te souvenir de ce qui s’est passé ?

- Du brouillard… J’étais dans ma chambre, au premier. Je crois que j’ai entendu du bruit dans le salon, je suis descendue… et c’est tout. Le trou noir.

- Tu crois que c’était un cambrioleur ? Tu sais, ton isolement est attirant pour les voleurs.

- Je ne sais pas. Il n’a l’air de rien manquer, en tout cas dans le salon. Et pourtant les objets de valeur ne manquent pas.

Je regarde autour de moi. C’est vrai que les objets de valeur ne manque pas ici, ne serait-ce que l’argenterie dans le buffet.

- Si tu veux, lui dis-je, quand tu te sentiras mieux, on ira faire le tour de la maison pour voir s’il manque quelque chose.

- D’accord, dit-elle après avoir avalé son aspirine. En attendant, qu’est-ce qui t’amène ici ?

Je lui raconte rapidement les derniers événements d’avant Noël, la perte des Talismans et l’apparition de l’Entité Blanche.

- Etrange, dit-elle quand je me tais. D’abord cette Entité Noire qui semble faire si peur même dans les hautes sphères, et maintenant une " Entité Blanche " qui vous aurait aidé à repousser l’Entité Noire. Et puis, la réaction des Talismans de Chaleur Solaire m’étonne. Je n’ai jamais entendu dire qu’ils pouvaient agir comme des armes. Quels mots l’Entité Blanche a-t-elle utilisé pour terminer sa lettre ?

- Elle a utilisé les mots : Sheliman Sayem Tanuyarim.

Soudain, le noir se fait dans le salon. Puis au milieu du salon, à environ un mètre au-dessus du sol, une lumière blanche, éclatante, apparaît et grossit, comme un petit soleil blanc. Cette lumière semble accompagnée d’une sorte de sifflement aigu, mais pas désagréable à entendre. Maya se redresse de peur et de surprise, et moi je me retourne vers cette lumière, en reculant comme je peux. Puis une musique se fait entendre ! On dirait comme un chant, presque murmuré, d’une voix douce et féminine. C’est doux, lent, joli. Puis une voix retentit. Elle est chaude, agréable à entendre. L’Entité Blanche !

- Bonjour, mon ami, dit la voix. Je suis heureux que tu m’aies enfin appelé.

- Qu’est-ce… qu’est-ce que c’est ? demande Maya.

- C’est l’Entité Blanche, réponds-je. Enfin je crois.

Je suis paralysé. Non pas par la peur, mais par l’émerveillement. Quelle étrange sensation !

- L’Entité Blanche ? dit la voix. J’aime bien. Si tu le désires, tu pourras m’appeler ainsi.

- … Bien, parviens-je à répondre.

- Allons ! ne réagis pas comme ça ! Tu as repoussé ce que tu appelles l’Entité Noire. Tu as vu des choses qui auraient rendu fous la plupart des humains. Et tu as résisté. Alors s’il te plaît, ne réagis pas comme ça en face de moi.

- Qui… qui êtes-vous ? finis-je par demander.

- L’Entité Blanche, puisque c’est ainsi que tu as décidé de me nommer. T’en dire plus m’est de toute façon interdit.

- Interdit ? par qui, par quoi ? demande Maya.

- Les lois qui me gouvernent sont bien différentes des vôtres. Comme pour vous, il y a des choses qui me sont interdites.

- Mais il m’a suffit de dire ces trois mots pour que vous apparaissiez ! m’écrie-je.

- Et j’essaierai d’apparaître à chaque fois que vous m’appellerez. Mais ne me demandez pas ce que je ne peux faire. J’ai moi aussi mes limites. J’essaierai de vous aidez du mieux que je peux dans le combat difficile que vous avez engagé. Si un problème semble insoluble, je pourrai peut-être vous aider. Mais n’essayez pas de m’appeler trop souvent. Vous parler me coûte beaucoup. Et j’ai moi-même un combat à mener.

- Un combat ? ! quel combat ? demandé-je.

- Un de ceux qui se déroulent sans armes. Un de ceux que vous ne pouvez comprendre… Il me faut maintenant partir. Une ombre plane sur cette maison, et je ne peux la dissiper.

- Attendez ! une ombre ? ! quel genre d’ombre ? Et comment allons-nous maintenant combattre l’Entité Noire sans les Talismans ?

- Toutes les réponses sont dans cette maison. A vous de les trouver, dit l’Entité Blanche.

Alors la lumière blanche diminue, puis s’éteint avec la musique qui l’accompagnait, puis la lumière du jour revient dans la maison.

 

Nous restons quelques moments sans voix, sans pouvoir même quitter du regard le lieu ou l’Entité Blanche nous est apparue. Finalement, Maya brise le silence :

- Cette histoire devient de plus en plus étrange. Je n’ai jamais vu autant de manifestations paranormales que depuis que tu es sur cette affaire. Même quand tu as aidé l’âme de ma mère…

- Je sais, dis-je. Nous sommes loin du simple phénomène de Poltergeist. Cette histoire me fait de plus en plus froid dans le dos. J’ai l’impression d’être le jouet de forces qui nous dépassent tous.

- Attends, cette chose a bien dit : " toutes les réponses sont dans cette maison " ?

- Oui… en tout cas c’est ce que j’ai entendu, réponds-je.

- Mais alors, si quelqu’un est venu ici… ? !

- La bibliothèque ! ! ! nous écrions-nous en même temps.

Maya se lève rapidement et va vers l’escalier. Je la suis dans le sous-sol. La " bibliothèque " est le lieu où Maya cache des livres très anciens aux pouvoirs étranges. C’est aussi en ce lieu qu’elle accomplit certains rituels qui accroissent sa sensibilité. C’est là qu’elle a fabriqué les Talismans de Chaleur Solaire. Cet endroit est en sous-sol, protégé par une porte blindée, car certains objets qui s’y trouvent seraient très dangereux s’ils tombaient en de mauvaises mains. Nous arrivons devant la porte blindée.

- On a essayé de la forcer ! s’écrie Maya.

J’examine la porte. En effet, il y a des marques près de la poignée. On a voulu utiliser un pied-de-biche pour forcer cette porte. Un pied-de-biche pour forcer une porte blindée ? Et l’alarme qui ne s’est même pas déclenchée ? De plus la porte est entrebâillée ! Le cambrioleur avait réussi à forcer la porte ! J’ouvre.

- Maya, rien ne manque ?

- Attends, dit-elle, je vais jeter un rapide coup d’œil.

Elle allume la lumière qui se met à inonder la pièce et y entre. A la lumière, je vois les étagères croulant sous les livres à reliure de cuir, la table de bois couverte d’objets divers et variés, d’autres objets accrochés aux murs et couverts de signes cabalistiques. En entrant, je suis assailli par une odeur d’encens tenace, mêlée à l’odeur de vieux livres typique d’une bibliothèque.

- Non, dit-elle, il ne manque rien. Je connais par cœur la position du moindre objet dans cette pièce. En plus, il n’y avait pas de traces de pas par terre, et avec la poussière on aurait dû en voir.

- Je ne vois qu’une explication, dis-je. J’ai dérangé le cambrioleur en plein travail. Il a entendu ma voiture et a préféré s’enfuir sans même se rendre compte qu’il avait réussi à ouvrir la porte. Ce que je ne comprends pas, c’est comment on peut forcer une porte blindée sans déclencher l’alarme avec un simple pied-de-biche.

- C’était quelqu’un qui savait ce qu’il cherchait, dit Maya. Il n’est pas courant de trouver une bibliothèque protégée d’une porte blindée dans le sous-sol d’une maison.

- Mais s’il cherchait à voler quelque chose ici, c’est que… ? !

Les yeux de Maya s’agrandissent de surprise.

- Alors pas étonnant que l’alarme n’ait pas fonctionné, ou qu’un simple pied-de-biche a suffi, dit-elle. Il a utilisé des forces surnaturelles !

- Mais pourquoi ? ! demandé-je.

Je la vois se diriger vers une étagère précise, prendre un gros livre qui m’a l’air très ancien, et me le tendre.

- Peut-être pour ceci, dit-elle.

Je regarde la couverture du livre. Elle est incrustée d’une sorte de médaillon… un Talisman de Chaleur Solaire !

 

- Raconte-moi ça, demandé-je à Maya.

Nous sommes sortis de la bibliothèque, avons refermé la porte blindée (heureusement, le cambrioleur n’a pas trop abîmé la porte et elle s’est bien refermée) et nous sommes remontés dans le salon avec le livre au Talisman.

- D’accord, dit-elle. J’ai trouvé ce livre il y a longtemps, dans une petite librairie de Paris. J’étais encore lycéenne à l’époque. Ce n’était même pas une librairie spécialisée dans le paranormal, juste une librairie spécialisée dans les livres anciens. J’ai trouvé ce livre par hasard. En fait, en fouillant, j’ai fait tomber une pile de livres et je l’ai trouvé en remettant tout en place. J’étais d’ailleurs étonnée qu’un tel livre soit resté en bon état malgré des conditions de conservation déplorables. Toujours est-il que j’ai eu le coup de foudre pour ce bouquin. J’ai cassé ma tirelire pour pouvoir me le payer. Il ne coûtait pas si cher que ça d’ailleurs. Le libraire semblait n’avoir jamais vu ce livre. Il l’a regardé, l’a feuilleté rapidement et m’a donné un prix tout à fait raisonnable. En fait, il paraissait même presque gêné, comme heureux de s’en débarrasser. C’est le soir que j’ai essayé de le lire. Je n’y suis jamais arrivée. Ce livre est écrit dans une écriture et une langue inconnues à ce jour.

- En effet, acquiescé-je en le feuilletant.

Ce livre a été écrit à la main. Je n’ai jamais vu une telle écriture. Ca ressemble à la fois à de l’arabe et du sanskrit. J’ai même l’impression que des idéogrammes y sont mêlés, et rarement quelques signes cabalistiques que je reconnais, comme les signes du zodiaque ou des planètes. D’ailleurs quelque chose ne va pas. Les signes des planètes extérieures (Uranus, Neptune et Pluton) s’y trouvent ! Mais Pluton n’a été découverte qu’en 1929 !

- En le feuilletant, j’ai aussi trouvé ça, dit-elle.

Elle sort une feuille jaunie de sa poche et me la tend.

- Je la garde toujours sur moi, m’explique-t-elle.

Je la lis. C’est une forme assez modifiée de grec ancien, écrite avec des pattes de mouche, mais ça reste compréhensible. C’est une recette pour fabriquer les Talismans de Chaleur Solaire !

- Je l’ai trouvée entre deux pages de ce livre, explique-t-elle. En comparant les signes communs, j’ai compris qu’il s’agissait d’une traduction d’une des pages de ce livre, la page à côté de laquelle je l’ai trouvée. C’est ça qui a piqué ma curiosité. Cette traduction ne m’a pas permis de traduire le reste du livre, malgré l’aide de philologues réputés, mais elle a piqué ma curiosité. J’ai commencé à m’intéresser au paranormal et à rechercher des livres anciens et rares, en espérant trouver d’autres textes traduits de ce livre. Je n’en ai jamais trouvé, mais mes connaissances ont fait de moi une sensitive. C’est ce livre qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

Je suis impressionné et reste sans voix. Ce livre qui paraît sans âge, aux feuilles jaunies écrites à la main, est le livre dont sont issus les Talismans qui nous ont permis de repousser l’Entité Noire.

- Tu as fait expertiser ce livre ? lui demandé-je.

- Tu penses bien, répond-elle. L’écriture est inconnue au bataillon, le papier et le cuir sont trop bien conservés. Les spécialistes m’ont avoué leur incompétence. Ils ne comprennent pas comment ce livre a bien pu arriver jusqu’à nous. Il a même été daté au carbone 14. Ce livre est vieux de plus de 8000 ans.

- 8000 ans ! ! ! m’écrie-je. Mais c’est impossible !

- Je sais, dit-elle calmement. Il y a 8000 ans, nous ne connaissions ni le papier, ni l’encre. Nous ne savions pas non plus travailler le cuir comme il a été travaillé pour faire la couverture de ce livre. Nous ne connaissions même pas le travail des métaux, or le médaillon est bien en or, et encore moins l’écriture ! ! ! Pourtant la datation est formelle, il n’y a aucune erreur possible.

- Comment est-ce possible ? Un livre, à une époque où nos ancêtres commençaient à peine à se sédentariser et à découvrir l’agriculture ! Mais même si, d’une façon ou d’une autre, un tel livre avait été écrit, jamais on n’aurait pu le conserver jusqu’à aujourd’hui ! Le papier aurait dû tomber en poussière depuis longtemps !

- Je sais, dit-elle. Mais crois-en ma sensibilité, ce livre est entouré d’une aura unique en son genre. Elle le protège contre le passage du temps.

- Je te crois, dis-je. Mais ça ne résout pas le problème : qui a pu écrire un tel livre, 3000 ans avant l’invention de l’écriture ?

- Je crois que si nous parvenions enfin à traduire ce livre, nous parviendrions à comprendre d’où il vient. Peut-être que nous découvririons même quelque chose sur ces Entités Blanche et Noire. Après tout, elles semblent en savoir beaucoup sur les Talismans de Chaleur Solaire.

- Peut-être. En tout cas, une hypothèse s’impose d’elle-même : le cambrioleur a été envoyé par l’Entité Noire pour te voler ce livre.

- Tu penses que cette chose pourrait avoir des contacts avec des humains autres que ceux dont tu as été témoin ?

- Avec toutes les sectes satanistes et autres qui pullulent en ce moment, ça ne m’étonnerait pas que des gens aux dents longues et connaissant un peu le paranormal soient parvenus à entrer en contact avec cette chose. Ca cadrerait bien avec la personnalité de cette Entité Noire. Elle doit craindre le pouvoir des Talismans. Je sais qu’elle a lu dans mes pensées. Il est donc tout à fait envisageable qu’elle sache d’où je les tenais. Et après la défaite que nous lui avons fait subir, elle a dû préférer envoyer quelqu’un plutôt que se fatiguer à venir elle-même. Elle accumule ses forces. Et j’ai peur du déchaînement qu’elle risque de produire quand elle réapparaîtra.

- Ce qui me fait penser à quelque chose, dit soudain Maya. Attends-moi ici.

Elle s’éclipse rapidement, puis revient aussi vite avec un petit sac en cuir. Non ! Aurait-elle… ? !

- Quand j’avais fabriqué les Talismans de Chaleur Solaire que je t’ai donnés, je ne maîtrisais pas encore complètement mes capacités. Ceux-ci, par contre, sont beaucoup mieux réalisés, et donc a priori beaucoup plus puissants.

- Mais…

- Tiens, tes amis et toi en aurez besoin.

Je prends le sac de cuir et je l’ouvre. Il y a cinq Talismans de Chaleur Solaire, et ils sont en or !

- Mais… ça a dû te coûter une fortune !

- J’ai mis à contribution quelques connaissances, et j’ai finalement mis la main sur une quantité d’or suffisante pour fabriquer six Talismans.

- Six ? mais…

Elle met la main dans son col, et sort un Talisman qu’elle porte autour du cou.

- Il faut bien que je me protège moi aussi, non ? dit-elle simplement.

- Mais comment… ?

- Je suis une sensitive, ne l’oublie pas. C’est mon rôle de sentir les forces qui jouent dans les autres plans. Des énergies mauvaises sont en train de se concentrer, et j’ai l’impression qu’elles sont en rapport avec l’Entité Noire. J’ai alors compris que les Talismans que je t’avais donnés ne suffiraient sûrement pas. C’est pour ça que j’ai fabriqué ces nouveaux Talismans en or.

- Mais comment as-tu pu prévoir que nous nous retrouverions à cinq ?

- C’est le hasard, uniquement le hasard. J’ai eu assez d’or pour en faire six, j’en ai donc fait six. Je suis heureuse que tu puisses tous les utiliser.

- Ecoute, je ne sais pas quoi dire… Merci, merci infiniment.

- Je t’en prie. Je t’aiderai toujours du mieux que je peux. Je te demanderai simplement un service.

- Bien sûr, vas-y.

- Je voudrais te confier le livre. Je pense que tu seras plus à même de le protéger que moi. Et je pense aussi qu’il t’aidera.

- Je le protégerai du mieux que je pourrai, je te le promets.

- Je te fais confiance, dit Maya avec un sourire. Allez, rentre chez toi.

- Mais toi, ça va aller ? lui demandé-je.

- Ne t’inquiète pas pour moi, inquiète-toi plutôt pour toi. Les forces que tu combats sont très puissantes et je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur.

- Celui qui viendra à bout de cette vieille carne de Damien Zakdine n’est pas encore né ! dis-je en prenant le livre.

Maya se met à rire.

- Allez, rentre bien, dit-elle.

- Au revoir Maya.

- Salut Damien.

Je passe la porte, entre dans la voiture et me retrouve rapidement sur la route qui mène à Paris.

 

- Il a pas changé ton bureau, dit Christophe.

- Pourquoi je l’aurais changé ? répliqué-je. Il est très bien comme il est.

- J’ai l’impression d’être dans une série américaine, dit Eric. Il est où Dick Tracy ?

- Je suis un détective privé, dis-je, même si mon domaine est assez particulier. J’ai donc un bureau de détective privé. C’est tout.

- Pourquoi tu nous as fait venir ici ? demande Delphine.

- Asseyez-vous où vous voulez, d’abord… Bon, je suis allé hier chez Maya, la personne qui m’avait déjà donné les Talismans. Et voilà ce que je ramène, dis-je en sortant les Talismans du petit sac en cuir.

- Des Talismans de Chaleur Solaire ! s’écrie Delphine.

- En or ! s’écrie Ivan.

- Prenez en chacun un. J’ai déjà le mien autour du cou. D’après Maya, ces Talismans sont beaucoup plus puissants que les précédents.

- Elle en avait prévu un pour Eric ? Comment est-ce possible ? demande Christophe.

- Le hasard, d’après ce qu’elle m’a dit. Le hasard… Voici l’autre objet qu’elle m’a confié.

Je sors le livre d’un des tiroirs de mon bureau.

- Qu’est-ce que… ?

Ivan vient de voir le Talisman sur la couverture du livre.

- Ecoutez bien, ça va prendre un petit moment, mais je veux vous raconter ce qui est arrivé chez Maya. S’il vous plaît, ne me coupez pas. Vous pourrez me poser toutes les questions que vous voudrez après.

Je leur raconte donc tout, depuis mon arrivée chez Maya jusqu’à ce qu’elle me confie le livre. Ils restent silencieux pendant un moment.

- Un bouquin de 8000 ans, c’est complètement impossible ! dit Eric.

- D’après les critères de la science actuelle, tout ce que nous avons vécu jusqu’à présent est impossible. Alors une impossibilité de plus ou de moins… répliqué-je.

- En redisant les trois mots, tu penses que l’Entité Blanche réapparaîtra ? demande Delphine.

- Je pense, réponds-je, mais je préférerai qu’on évite de l’appeler. On ne sait pas ce qu’elle est ni quelles sont ses intentions, et j’ai l’impression que ça lui coûte de se matérialiser dans notre plan d’existence. Il vaudrait mieux ne pas épuiser ce qui est peut-être un allié de choix.

- Et le livre, demande Christophe, qu’est-ce que tu vas en faire ?

- Je ne sais pas. J’aimerais essayer de le traduire mais je ne sais pas trop comment faire. Il faudrait déjà au moins déchiffrer cette écriture… Ce n’est même pas la même que celle qu’on trouve sur les Talismans.

- Montre-moi ça, me demande-t-il.

- Tiens, lui dis-je en lui passant le livre.

Il regarde un peu, tourne les pages, scrute attentivement le texte.

- J’ai un sentiment de déjà-vu, dit-il. Faudrait que je l’étudie plus attentivement, mais ça doit être déchiffrable.

- Tu crois vraiment que tu vas pouvoir déchiffrer ce machin ? demande Ivan.

- Je ne sais pas, mais ça vaut le coup d’essayer, non ?

- Si tu penses vraiment que tu peux y arriver, je te confie le livre, dis-je. Mais fais-y très attention. Il ne faudrait surtout pas que quelqu’un nous le vole.

- Je le garderai toujours avec moi, dis-je. Pour le prendre, il faudra d’abord me passer sur le corps.

- Fais attention tout de même, lui dis-je.

- Fais-moi confiance. Tu pourrais aussi demander à Maya de nous envoyer une copie de sa feuille en grec ? Je crois que ça m’aidera à déchiffrer si je comprends de quel type d’écriture il s’agit.

- Tu penses que tu serais capable de déchiffrer cette langue ? ! demande Eric.

- Je ne suis pas un amateur de langues pour rien. J’ai beau n’être qu’un linguiste amateur, je sais que je peux toujours demander de l’aide à certaines personnes que je connais.

- Bon, une autre chose de faite, conclus-je. Récapitulons : nous avons une Entité Noire que nous avons repoussé une fois, mais qui risque de revenir à tout moment et dont la fureur sera alors sans limites, nous avons une Entité Blanche qui semble être de notre côté mais dont nous ne connaissons pas la nature exacte ni le but, nous avons des Talismans de Chaleur Solaire en or, dont le pouvoir est censé être beaucoup plus important que les précédents, et nous avons enfin un livre impossible, trop vieux pour exister et existant tout de même, et écrit dans une écriture et une langue inconnues.

- En clair, notre situation n’est pas brillante, dit Eric.

- En effet, acquiescé-je.

- Qu’est-ce qu’on va faire alors ? demande Delphine.

- Reprendre la surveillance, dis-je, reprendre nos recherches. Notre situation a quand même énormément évolué. Nous savons que nous pouvons repousser l’Entité Noire, et que nous avons aussi un allié dans les autres plans de la réalité.

- Mais pour combien de temps ? s’interroge Ivan.

- C’est pour ça qu’il faut continuer nos recherches. Plus nous en saurons, mieux nous seront préparés.

- Encore faudrait-il en savoir plus ! s’écrie Christophe. En ce moment, j’ai plutôt l’impression que plus nous avançons, plus nous nous posons de questions sans recevoir de réponses.

- C’est vrai, dis-je. Mais au moins, nous commençons à savoir quelles questions il faut se poser. C’est toujours ça. Reprenons la surveillance à PC. Il faut se tenir prêt à la réapparition de l’Entité Noire. Et il faut surtout s’attendre à tout. Après son échec, elle va certainement chercher des façons plus subtiles de s’infiltrer. Je pense surtout à des personnes qui pourraient être sous son emprise, comme le cambrioleur chez Maya.

- Je ne voudrais pas sombrer dans la paranoïa, dit Eric, mais dans ce cas, tout le monde est suspect.

- Je ne pense pas, dis-je. Si l’Entité Noire pouvait vraiment contrôler à volonté les gens, elle l’aurait déjà fait avec nous, et ses agissements n’auraient aucun sens. Par contre, il est très possible que des gens la serve, sous une forme ou une autre. Ce ne serait pas la première fois qu’un être des autres plans se serve de groupes d’humains pour atteindre son but.

- Ce pourrait être ce que compte faire l’Entité Blanche avec nous, ajoute Ivan.

- C’est possible, dis-je. Mais tant que nos intérêts et les siens sont communs, je ne vois pas le mal.

- C’est peut-être ce que pensent les gens qui servent l’Entité Noire, dit Delphine.

- Je sais, répliqué-je, je sais. Mais je doute que nous ayons les mêmes buts, ni même que les leurs soient vraiment avouables. Notre situation n’est pas vraiment comparable à la leur. Allez, je ne veux pas vous retenir plus longtemps, et j’ai moi-même du travail. On se voit demain ? je passerai dans votre école.

- D’accord Damien, dit Christophe.

Nous nous saluons, je les reconduis à la porte et ils s’en vont. Je me rassieds sur mon fauteuil, derrière mon bureau. Je repense à ce qu’a dit Ivan. Il faudra faire attention à cette Entité Blanche et découvrir ce qu’elle veut vraiment. Peut-on vraiment faire confiance à un être qui n’obéit pas à la même logique que nous ?

 

Je suis encore pris d’une quinte de toux. Merde ! Avec le redoux, j’ai encore attrapé une angine ! Il faut dire qu’après un mois de février catastrophique, cette chaleur soudaine nous a tous pris de court. Mars, déjà ! Comme toutes les semaines, je passe au moins une journée à PC. Nous ne devons pas relâcher notre surveillance. J’ai l’intuition que l’Entité Noire va apparaître d’un jour à l’autre. Cette absence trop prolongée n’est pas naturelle. Elle doit mijoter quelque chose. Aujourd’hui, je suis tout seul à jouer les gardiens. Eric est trop occupé avec sa pièce de théâtre. Christophe a lui aussi sa pièce de théâtre ainsi que le Bekk à faire. Quant à Delphine et Ivan, ils ont des choses personnelles à faire. Je n’ai pas insisté. Ils ont déjà passé des journées entières tout seuls à surveiller PC et à faire des rondes. Je ne peux pas leur en demander trop non plus. Tant qu'il y a toujours au moins un possesseur de Talisman sur place, l’Entité Noire pourra être repoussée… en espérant que ces Talismans sont vraiment plus puissants que les précédents… Nous avons organisé un système de rondes dans PC. C’est le seul moyen de reprendre l’avantage et d’essayer de débusquer l’Entité Noire. Elle peut réapparaître n’importe où dans PC. Je ne crois pas qu’elle puisse apparaître ailleurs. Les passages entre les plans sont généralement petits, de la taille d’un bâtiment tout au plus. De plus, j’ai l’impression que PC attire cette Entité. Je fais des recherches là-dessus justement. Mais pour l’instant, je ne trouve rien qui justifie cette idée. Mais ça cadrerait bien avec son comportement. De plus, PC est un lieu idéal pour ça. Le sous-sol de cette école est truffé de souterrains dont certains seulement ont été condamnés. Personne ne possède de plan complet de ces souterrains et celui dans lequel nous avons trouvé l’Entité Noire n’est qu’un de ceux qui parcourent le sous-sol de cette école. Je connais l’existence d’au moins deux autres souterrains, mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’y pénétrer. Quelle heure il est ? neuf heures du soir. Il n’y a plus grand monde à PC. Je sais qu’il y a encore du monde au foyer et dans les amphis (entre autres Christophe et Eric et leurs troupes de théâtre), ainsi qu’un ou deux labos encore ouverts (je vois la lumière à travers les fenêtres). J’ai toujours ma lampe-torche. Depuis la dernière fois, elle fonctionne beaucoup mieux qu’avant. Son faisceau est plus lumineux et plus large, tout en étant moins éblouissant. Serait-ce l’action de l’Entité Blanche ? Tiens, par-là, il y a l’entrée d’un des souterrains que je n’ai pas encore explorés. Je ne veux pas y pénétrer seul et je refuse que les autres y aillent seuls. Notre dernière aventure nous a prouvé que ça pouvait être très dangereux. Tiens, qu’est-ce que c’est que cette chaleur, au niveau de mon torse… ? le Talisman ! Je le sors de sous mon pull. Il brille ! Il brille d’une lumière dorée ! Qu’est-ce qui se passe ? Je sens une impression de danger. Il se passe quelque chose de pas normal ! Je regarde autour de moi. Rien. Si ! quand je change la direction de mon regard, la lumière diminue ou augmente. Le Talisman réagit comme un détecteur. Il veut m’indiquer une direction ! Je me tourne jusqu’à ce que le Talisman brille au maximum. L’entrée du souterrain ! C’est ça, j’en suis sûr. Pas le choix, j’ai pas le temps d’appeler les autres à la rescousse. La sensation de danger se fait de plus en plus oppressante. J’y vais ! Je n’ai qu’à suivre le Talisman, il m’indiquera la direction.

Vite, vite ! J’ai l’impression que je m’enfonce encore plus profondément dans la terre que la dernière fois. C’est long ! Ce souterrain est encore plus long que le précédent. Je regarde ma montre. 10 heures ! Une heure que je suis les couloirs sous l’impulsion du Talisman de Chaleur Solaire. Le seul avantage est que je n’ai même pas à allumer ma lampe. Le Talisman fait office de torche. Brrr ! ! ! Qu’est-ce qu’il fait froid par ici. Encore un croisement ! Où est-ce qu’il faut que j’aille cette fois ? A gauche ou à droite ? Je me tourne vers la droite. Le Talisman se met alors à briller sous forme d’un faisceau large et puissant qui illumine tout le couloir devant moi ! Ce couloir n’est pas très long, à peine une vingtaine de mètres... et je vois une silhouette au fond ! Ce n’est pas l’Entité Noire, c’est un être humain, un homme, accroupi au fond du couloir, en train de sortir je ne sais quoi d’un grand sac à la lumière d’une lampe-torche. Soudain il se rend compte de ma présence et se retourne vers moi. Son visage est couvert de tatouages, le rendant méconnaissable. Il commence par avoir une expression de surprise, puis ses traits se durcissent et deviennent une expression de haine ! Il sort quelque chose de sa poche. C’est une sorte de fiole. Il l’ouvre et renverse un peu d’une poudre noire devant lui. Une poudre noire ? ! Il commence alors à psalmodier d’une voix grave et lente :

- Seklu… Nimojy… Lekinyaza…

La signature de l’Entité Noire ! Non, il ne faut pas ! Instinctivement, je me mets à hurler :

- Sheliman Sayem Tanuyarim !

L’homme s’arrête de psalmodier subitement et se plie en deux, comme pris d’une douleur effroyable au ventre. La poudre noire qu’il a renversée devant lui commence à exhaler une fumée sombre. Voyant ça, l’homme se relève subitement, et son expression est devenue celle d’une peur bleue ! Il ouvre de nouveau sa fiole, jette un peu de poudre noire sur le mur et crie :

- Qaug !

Une tache noire ovale se forme dans le mur, et l’homme passe à travers cette tache, qui disparaît avec lui ! Je n’ai pas eu le temps de réagir qu’il a disparu. Pendant ce temps, la fumée continue de monter, puis semble prendre plus de consistance, comme essayer de prendre une forme… quand soudain cette forme retombe comme une flaque noire ! Et cette flaque noire se met à ramper vers moi, agitée de soubresauts et de bulles, comme une imitation grotesque de la vie ! Des tentacules se forment, à moitié liquides mais suffisamment solides pour pousser la flaque dans ma direction. Qu’est-ce que c’est que cette chose ? ! Elle s’approche de plus en plus, et mes jambes ont cessé depuis longtemps de m’obéir. Le Talisman !

- Talisman de Chaleur Solaire ! protège-moi !

Au moment où la flaque noire se jette sur moi, le Talisman se met à briller d’une lumière plus vive et une sorte de bulle dorée se forme autour de moi ! La flaque s’écrase contre cette bulle et ne m’atteint pas. Au contraire, elle se recule rapidement, comme si elle avait eu mal, et des volutes de fumée apparaissent aux endroits où la flaque a touché la bulle !

- Talismans de Chaleur Solaire, repoussez cette chose !

Ces voix viennent de derrière moi ! Je vois alors deux faisceaux dorés passer à côté de moi et frapper la chose liquide de plein fouet. Celle-ci semble essayer de se débattre, forme des tentacules pour se protéger qui sont immédiatement évaporés par les faisceaux lumineux, puis essaie de s’enfuir en bouillonnant, mais est rapidement complètement détruite. Les faisceaux disparaissent, ainsi que la bulle qui m’entourait, et je me retrouve dans le noir. J’allume ma lampe et je me retourne.

- Christophe, Eric ? Qu’est-ce que vous faites là ?

- On pourrait te demander la même chose, réplique Christophe.

- Mon Talisman s’est mis à briller tout à l’heure, dit Eric. La sensation de danger était tellement forte que j’ai dû laisser mes acteurs seuls pour voir ce qui se passait. J’ai retrouvé Christophe en sortant.

- Mon Talisman a fait pareil et j’ai aussi senti cette impression de danger. Le temps qu’on comprenne ce qui nous arrivait, de trouver l’entrée du souterrain et d’arriver jusqu’ici, il s’est passé plus d’une heure. Quand on est arrivé, on t’a vu avec cette chose qui avançait vers toi, puis la bulle qui t’a protégé est apparue. On n’a pas réfléchi longtemps. On a pris nos Talismans dans la main et on a visé la chose… Tu connais le reste.

- Et toi ? Comment es-tu arrivé là ? demande Eric.

- Je vous expliquerai ça tout à l’heure, dis-je. D’abord, il faut que je vérifie quelque chose.

Je me retourne vers le fond du couloir. Quelle est cette chose par terre, tout au fond ? Je m’approche. Le grand sac est resté par terre. L’homme a oublié de le reprendre. Mais qu’est-ce que c’est à côté ? Soudain je me rends compte de ce que c’est ! Des cadavres, baignant dans leur sang, des cadavres de rats, de pigeons ! Il y a même un chat, déchiré en morceaux, presque méconnaissable. Les cadavres sont récents, le sang est encore tiède ! Ils sont disposés d’une certaine façon, mais la forme n’a pas l’air finie. Qu’est-ce que ça peut bien être ? … Un pentagramme ! Les cadavres forment un pentagramme presque complet ! il manquait juste un petit cadavre pour terminer cet horrible dessin ! Le sac se met à bouger ! Je sursaute, comme Eric et Christophe qui se sont rapprochés, puis je me rends compte que c’est quelque chose qui essaie de sortir du sac. Soudain, je vois poindre de l’ouverture une toute petite patte poilue, puis une autre, puis enfin la tête d’un petit chat ! C’était le dernier animal qui manquait pour terminer le pentacle ! J’attrape la pauvre petite bête. Il tremble de froid. Je le sers contre mon pull pour le réchauffer. C’est un tout jeune chaton. Il a l’air d’avoir à peine deux mois.

- Sortons, dis-je, ce pauvre minou crève de froid, et moi aussi d’ailleurs.

- Mais c’était pourquoi faire, cette horreur ? demande Eric, la voix pas très assurée.

- J’ai une petite idée de ce que ça peut être, mais il faut que je voie tout le monde dans ce cas. Demain, je veux tout le monde dans mon bureau. Prévenez Delphine et Ivan. Allez, on sort d’ici. Non, attendez.

Je prends le briquet que j’ai toujours sur moi et un bout de papier qui traîne dans une de mes poches. J’enflamme le papier que je pose sur les cadavres. Les poils et les plumes s’enflamment rapidement. Bien… dans quelques temps, il ne restera plus que les os, et le pentacle sera inutilisable.

- C’est fait, dis-je. On y va.

 

- Monsieur Zakdine, vos amis sont arrivés, dit Myriam à l’interphone.

- Faites-les entrer, dis-je en caressant Pélops.

La porte s’ouvre et les quatre autres membres de l’OPEN (mince, est-ce que je pense ça sérieusement ? Christophe m’a contaminé ou quoi ? !) entrent dans mon bureau.

- Asseyez-vous comme la dernière fois, leur dis-je.

- Le chat va bien ? demande Christophe en le voyant.

- Je l’ai appelé Pélops. Oui, il va bien. Tu veux t’en occuper un peu ?

- Je veux bien le caresser, mais pas plus. J’adore les chats, mais je suis allergique.

- Vas-y, lui dis-je en posant Pélops sur le bureau. Celui-ci commence à jouer avec les stylos posés à côté de lui, mais Christophe l’attrape et commence à le caresser. Il se laisse tout de même faire.

- Pélops ? demande Delphine.

- C’est le prénom du fils de Tantale. Tantale était un roi grec qui avait pensé se jouer des dieux. Il les avait conviés à un repas somptueux où il avait servi son fils comme repas. Les dieux horrifiés ressuscitèrent immédiatement le fils et jetèrent Tantale aux Enfers. Il s’y retrouva enchaîné, tenaillé par une soif et une faim éternelle, à côté d’une source claire et d’un arbre rempli de fruits qu’il ne peut jamais atteindre. C’est le supplice de Tantale. Comme j’ai sauvé ce petit chat d’un destin proche de celui de Pélops, j’ai décidé de lui donner ce nom.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? demande Christophe.

- Raconte-nous d’abord ce qui s’est exactement passé, dit Ivan.

- D’accord, dis-je.

Je résume donc ce qui m’est arrivé hier soir. Quand j’ai terminé, je continue avec mon idée sur le pentacle.

- Les pentagrammes, comme les cercles, sont très utilisés en sorcellerie. Ils servent à invoquer les démons et autres esprits, et aussi à se protéger de ces derniers. Pour moi, ce pentacle de chair devait servir à invoquer l’Entité Noire.

- Hein ? !

La réaction a été unanime.

- Nous avons repoussé l’Entité Noire, et purifié le repaire qu’elle possédait dans notre plan d’existence. Elle ne doit plus pouvoir revenir physiquement dans notre plan si on ne l’appelle pas d’ici, à l’aide d’un rituel approprié. Ca, et le fait que nous l’ayons blessée, expliquerait son absence depuis si longtemps.

- Comment ça ? demande Eric.

- Ce genre de rituels ne peut se faire qu’à certaines époques de l’année, suivant les configurations planétaires et la position de la Lune. La configuration n’était pas bonne avant hier. Et comme les configurations doivent être très précises, nous avons un peu de temps devant nous avant que l’homme puisse essayer à nouveau.

- Ca nous laisse donc un peu de temps devant nous, dit Christophe.

- Mais je ne comprends pas, la poudre noire, la chose liquide, l’homme qui traverse les murs… dit Ivan.

- Ce doit être la même poudre noire que j’ai donnée à examiner à Philippe. Je vais retourner le voir demain pour lui demander où ça en est. J’aurai dû me douter que cette poudre pouvait être utilisée. Ca n’est pas qu’un reste de manifestation paranormale. Elle peut aussi en susciter. Quant à la signature de l’Entité Noire, je pense qu’il s’agit d’une incantation. Je ne sais pas encore quelle sorte d’incantation, mais j’en ai une petite idée.

- Et laquelle ? demande Delphine.

- Désolé, c’est encore trop flou. Je préfère y réfléchir plus calmement. En tout cas, je suis sûr d’avoir empêché cet homme de prononcer l’incantation en entier. Le résultat n’a donc pas été le résultat normal. La chose n’était qu’à moitié faite. Il aurait fallu le reste de l’incantation pour qu’elle soit solide. Il a dû s’enfuir parce que les résultats d’incantations ratées se retournent souvent contre ceux qui ont prononcé l’incantation.

- Et la signature de l’Entité Blanche, ce serait une incantation aussi alors, dit Ivan.

- C’est bien possible. Mais ce qui est étrange, c’est que l’Entité Blanche ne soit pas apparue quand j’ai dit les trois mots. A la place, l’homme s’est plié en deux, comme s’il avait reçu un coup dans le ventre.

- Tout ça est quand même bizarre, dit Christophe. Un homme au visage tatoué, et qui semble servir l’Entité Noire. Il se pourrait même que ce soit lui qui a voulu cambrioler ton amie.

- C’est probable, dis-je. En tout cas, la situation s’est un peu améliorée. Nous savons que ce que nous combattons est humain cette fois. Tant qu’il n’a pas réussi à observer le rituel en entier, l’homme ne peut faire venir l’Entité Noire. Et un homme, ça peut se combattre. Même avec des pouvoirs magiques, un homme reste un homme et est faillible. Nous avons de bonnes chances de vaincre.

- Oui, mais il nous manque toujours la connaissance. Nous ne savons pas ce que nous combattons, réplique Christophe. Est-ce une secte, une organisation plus vaste, un groupuscule de deux ou trois personnes servant l’Entité Noire ? Ah, petit Pélops, ajoute-t-il en le soulevant jusqu’au niveau de son visage. Si tu pouvais parler, tu nous apprendrais certainement beaucoup de choses.

C’est ce moment que Pélops choisit pour pousser un de ses miaulements, un miaulement de chaton, c’est-à-dire un petit " mi ! " aigu. Nous éclatons de rire. Ah, ça fait du bien de rire de bon cœur. Ca faisait longtemps. Peste soit de l’Entité Noire ! Elle essaie d’apporter l’ombre jusque dans nos cœurs. Mais tant que nous arriverons à rire, nous aurons l’espoir de la vaincre !

 

 

 

Brr… ! Magie et frissons, y’a que ça de vrai ! Allez, bonne continuation, méfiez-vous des pentacles, et si votre animal de compagnie disparaît, avant de prévenir la police, vérifiez s’il n’y aurait pas dans votre voisinage une personne au visage tatoué. Rendez-vous au prochain chapitre.

 

Tsela Jemufan Atlinan C.G.


Pour tous vos commentaires, écrivez-moi !
Retour à la page de présentation du Fantôme de PC.
Retour au mot de Tsela Jemufan Atlinan C.G..
Retour au début de cette page.
Copyright © 2000-2004 Christophe Grandsire / Dernière mise à jour le 5 juin 2000.